Surréalisme

  Le surréalisme est un important mouvement de pensée de l'entre-deux-guerres. Le point de départ est, en France, la publication par André Breton, en 1924, du Manifeste du surréalisme, qui donne sa cohérence à l'entreprise. Le mouvement souhaite que soit accordé à ses productions, tant linguistiques que plastiques, le statut d'expérimentation scientifique : tentative pour explorer en profondeur à la fois le monde (notamment sa réalité cachée) et la pensée (notamment l'inconscient), et pour donner de l'un et de l'autre une connaissance totale.

L'écrivain à succès Maryse Choisy profita du mouvement pour en créer un contraire, qu'elle baptisa avec humour le suridéalisme. Mais bien que la popularité de ses ouvrages ne souffre en rien de cette initiative, ce mouvement dont elle se réclamait disparut de lui-même.

L'aventure internationale

  C'est en hommage à Guillaume Apollinaire, qui venait de mourir (1918), qu'André Breton, Francis Banguet et Philippe Soupault décidèrent d'appeler surréalisme ce « nouveau mode d'expression pure ». En fait, celui-ci rejoignait le « supernaturalisme » de Gérard de Nerval et des romantiques allemands, et d'une certaine façon, également, le « surnaturalisme » d'Emmanuel Swedenborg et de Charles Baudelaire. Cette aventure (« une attitude inexorable de sédition et de défi ») passe par l'appropriation de la pensée d'Arthur Rimbaud (« changer la vie »), de celle de Karl Marx (« transformer le monde ») et des recherches de Sigmund Freud. En outre, l'expérimentation surréaliste fait appel à des techniques de création (écriture automatique, sommeil hypnotique, « cadavre exquis », écriture collective, interrogation du « hasard objectif ») qui rendent inopérants les critères esthétiques traditionnels : la « poésie » est ici avant tout moyen de connaissance de la réalité et du psychisme, et si la « beauté » en résulte, c'est comme produit d'une activité inconsciente occultée par des siècles de rationalisme.

  Dans le Premier Manifeste du Surréalisme (1924), on peut lire ces deux définitions :

  Les œuvres des surréalistes qui se situent aux confins du rationnel et de l'irrationnel, de la réalité et du rêve, exaltent aussi l'amour et l'érotisme comme fusion du moi avec la vie universelle : Philippe Soupault, Rose des vents (1920) ; André Breton, Clair de terre (1923), Nadja (1928) ; Benjamin Péret, Le Grand jeu (1928) ; Louis Aragon, le Libertinage (1924), le Paysan de Paris (1926), le Mouvement perpétuel (1926); Paul Éluard, Mourir de ne pas mourir (1924), Capitale de la douleur (1926), l'Amour la poésie (1929).

  À la mouvance surréaliste appartient également Robert Desnos, célèbre pour sa pratique du sommeil hypnotique. En marge du surréalisme, Jean Cocteau est étroitement mêlé à la bohème parisienne, tandis qu' Antonin Artaud, exclu du groupe en 1926, compose une prose poétique « hallucinée ».

  D'autre part, les surréalistes ont réhabilité ou fait découvrir des auteurs comme le marquis de Sade, Gérard de Nerval, Lautréamont ; des secteurs ignorés de la production littéraire comme le roman noir.

  Le surréalisme connaît une fortune particulière dans la littérature française de Belgique. Paul Nougé, dont la poésie présente un aspect ludique très marqué, fonde en 1924 un centre surréaliste à Bruxelles avec les poètes Camille Goemans et Marcel Lecomte. Le surréalisme belge prend ses distances à l'égard de l'écriture automatique et de l'engagement politique du groupe parisien. L'écrivain et collagiste ELT Mesens fut l'ami de René Magritte, les poètes Paul Colinet, Louis Scutenaire et André Souris appartiennent également au courant.

Le surréalisme exercera une action stimulante sur le développement de la poésie espagnole, mais à la fin des années 1920 seulement et en dépit de la méfiance suscitée par l'irrationalisme inhérent à la notion d'écriture automatique. Ramón Gómez de la Serna définit ses rapprochements insolites, « greguerios », comme « humour + métaphore ». Le courant « ultraïste » déterminera un changement de ton chez les poètes de la « Génération de 27 », Lorca, Alberti, Aleixandre et Cernuda.

  Les principes surréalistes se retrouvent en Scandinavie et en URSS. Le « poétisme » tchèque peut être considéré comme une première phase du surréalisme. Il s'affirme dès 1924 avec un manifeste publié par Karel Teige, qui conçoit la poésie comme une création intégrale, donnant libre cours à l'imagination et au sens ludique. Ses représentants les plus éminents furent Jaroslav Seifert et surtout Nezval, dont Soupault souligna l'audace des images et symboles. Le mouvement surréaliste yugoslave entretient d'étroits contacts avec le courant français grâce à Marko Ristió.

En dépit d'une perte de prestige à partir de 1940, le surréalisme a existé comme groupe jusqu'aux années 1960, en se renouvelant au fur et à mesure des départs et des exclusions.

L'écriture automatique

picabia
Picabia

Par l'écriture automatique, les surréalistes ont voulu donner une voix aux désirs profonds, refoulés par celle de la société, cette « violente et traîtresse maîtresse d'école », selon le mot de Michel de Montaigne. L'objet surréaliste ainsi obtenu a d'abord pour effet de déconcerter l'esprit, donc de « le mettre en son tort ». Peut se produire alors la résurgence des forces profondes, l'esprit « revit avec exaltation la meilleure part de son enfance ». On saisit de tout son être la liaison qui unit les objets les plus opposés, l'image surréaliste authentiquement est un symbole. Approfondissant la pensée de Baudelaire, André Breton compare, dans Arcane 17, la démarche du surréalisme et celle de l'ésotérisme : elle offre « l'immense intérêt de maintenir à l'état dynamique le système de comparaison, ce champ illimité, dont dispose l'homme, qui lui livre les rapports susceptibles de relier les objets en apparence les plus éloignés et lui découvre partiellement le symbolisme universel. »

  Le peintre Max Ernst, de son côté, découvre pour son art une méthode analogue à l'écriture automatique, méthode que déjà Léonard de Vinci avait esquissée. Frappé par un plancher d'auberge dont les lavages avaient accentué les rainures, il pose sur elles au hasard une feuille et frotte à la mine de plomb. « En regardant attentivement les dessins ainsi obtenus, les parties sombres et les autres plus claires, je fus surpris de l'intensification subite de mes facultés visionnaires et de la succession hallucinante d'images contradictoires. »

Changer l'homme

  Dada était antibourgeois, antinationaliste et provocateur. Aux yeux des surréalistes, l'artiste a une responsabilité politique et morale, son œuvre est susceptible de transformer l'homme. « Nous n'acceptons pas les lois de l'Économie ou de l'Échange, nous n'acceptons pas l'esclavage du Travail, et dans un domaine encore plus large nous nous déclarons en insurrection contre l'Histoire. » (tract La Révolution d'abord et toujours). Ces principes débouchent sur l'engagement politique : certains écrivains adhèrent, temporairement, au communisme.

  Aucun parti, cependant, ne répondait exactement aux aspirations des surréalistes, ce qui fut à l'origine de leurs difficultés avec le Parti communiste français. André Breton n'a pas de mots assez forts pour flétrir « l'ignoble mot d'engagement qui sue une servilité dont la poésie et l'art ont horreur. » Dès 1930, pourtant, Louis Aragon acceptait de soumettre son activité littéraire « à la discipline et au contrôle du parti communiste ». La guerre fit que Robert Desnos et Paul Eluard le suivirent dans cette voie pendant quelques années. Condamnation de l'exploitation de l'homme par l'homme et volonté d'une révolution sociale, condamnation du militarisme et bientôt du nazisme, condamnation des guerres et de l'oppression coloniale, condamnation des prêtres pour leur œuvre qu'ils jugent obscurantiste ; et, plus tard, enfin, dénonciation du pragmatisme de l'Union Soviétique, tels sont les thèmes d'une lutte que, de la guerre du Maroc à la guerre d'Algérie, les surréalistes ont menée inlassablement. Ils ont tenté la synthèse du matérialisme et du mysticisme, en se situant au carrefour de l'anarchisme, des socialismes utopiques et du marxisme, fermement opposés à tous les fascismes et aux religions.

Quelques surréalistes célèbres