L'art conceptuel n'est pas une période précise de l'art contemporain,
ni un mouvement artistique structuré ou un groupe d'artistes précis.
On peut dater l'origine de cette tendance avec des œuvres comme
Porte-bouteilles (1914) ou encore Fontaine (1917) de Marcel
Duchamp, à des peintures telles que la série Carré blanc sur fond
blanc (1918) de
Kasimir Malevitch.
De telles œuvres constituent selon certains la forme la plus pure de l'art
tel que le définissait Emmanuel Kant, ou tel
qu'en parlait Léonard de Vinci
en affirmant que l'art était « cosa mentale », une chose de l'esprit.
L'art conceptuel ne se soucie en apparence plus du savoir-faire de
l'artiste ni même de l'idée qu'une œuvre doit
être « finie » car l'idée prime sur
la réalisation : certains artistes ne proposent par exemple
que des esquisses de ce que pourrait être l'œuvre ou encore
des modes d'emploi permettant à tout un chacun de
réaliser l'œuvre.
De fait, une très grande partie de l'art actuel peut être qualifiée de
« conceptuelle ».
On a trop souvent confondu l'art conceptuel avec une activité astucieuse
se développant autour d'envoi de messages elliptiques pour ne pas insister sur
le caractère analytique de cet art :
Valéry disait que le seul réel dans l'art c'est l'art et Ad Reinhardt que
l'art est art-en-tant-qu'art... Appliqué à la peinture cela prit le nom de
formalisme, à savoir que le tableau ne doit parler que du tableau et bien que
les premiers textes de l'art conceptuel se soient opposés à ce formalisme pour
mieux privilégier le concept par rapport aux préoccupations sur la forme et la
composition du tableau, on ne peut cependant nier que cette loi, énoncée par
Clément Greenberg, correspondait bien à une autodéfinition de l'oeuvre d'art, ce
qui par essence sera la règle des artistes conceptuels : pour eux aussi l'art ne
doit être qu' une exploration de lui-même.
D'autre part, dans l'annexion de son espace, l'art minimal s'est attaché à la
mise en scène de l'objet artistique et a remis en question les conventions qui
lui étaient généralement rattachées.
On peut considérer que l'art conceptuel est un élargissement de ces deux
préoccupations. En effet le regard qui analyse d'abord l'objet puis va circuler
ensuite vers son contexte de présentation, les conceptuels l'ont fait porter non
seulement sur la redéfinition de l'objet artistique et de son environnement
architectural mais aussi sur l'environnement social, idéologique, voire sur son
contexte psychologique et philosophique.
D'autre part dans son rapport à l'industrie productrice de formes standards,
l'art minimal avait beaucoup plus contribué à la fin de l'idéalisme modernisme
progressiste qu'au développement de nouvelles formes en art. Donald Judd le
disait clairement dès 1963 : "Les progrès en art ne sont surement pas d'ordre
formel" et en 1967 (entretien avec Lucy Lippard publié dans Art in America
Juillet/Aout 1967) "A form that's neither geometric nor organic would be a great
discovery' (Parvenir à créer une forme qui ne soit ni géométrique ni organique
serait une grande découverte).
Cette grande découverte apparait vraissemblablement avec l'art conceptuel
pour lequel René Denizot fait le constat suivant dans son texte "la limite du
concept" ( Opus international avril 70) : "L'art conceptuel présentant l'art
sous la forme du concept est le thème par excellence de l'art puisqu'en portant
l'art au concept, il le fait advenir à la forme qu'il est, dans la forme qu'il
a.
En vertu de cette forme, les artistes conceptuels prennent alors une distance
à l'égard de l'objet dans l'oeuvre d'art; cela aboutit à une activité artistique
où l'utilisation du langage et de ses dérivés : (graphiques mathématiques,
mesures de distances, répertoriage d'années...) finit par être la condition
nécessaire et souvent suffisante, à l'existence d'une oeuvre. Cependant lorsque
ces artistes utilisent le langage pour sa capacité à servir au mieux une
démonstration, cela ne veut pas dire pour autant qu'on puisse les assimiler à
des critiques ou à des écrivains car, bien que le discours sur l'art se
substitue à l'objet, le propos ne réside pas uniquement dans l'idée de l'art,
mais dans la mise en pratique de cette idée.
Les artistes conceptuels n'ont jamais constitué un groupe homogène même si
certains d'entre eux se sont trouvés réunis une première fois par Mel Bochner
dans son exposition (très conceptuelle par son mode de fonctionnement) :
"Working Drawings and Other Visible Things on Paper not Necessary Meant to Be
Viewed as Art" à la School of Visual Arts de New York en 1966, puis ensuite par
Seth Siegelaub dans des expositions qui n'étaient visibles que dans les pages
d'un catalogue. Globalement, deux tendances se sont affirmées dès le début : la
première opte pour l'intérêt que suscitent les mathématiques, la sémiologie, la
philosophie ou la sociologie, tandis que la deuxième privilégient des
propositions ayant une forte charge poétique liée à l'imaginaire et à
l'éphémère.